Ostéopathie crânio‑maxillo‑faciale et chirurgie orthognathique

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Les patients que je reçois au cabinet d’ostéopathie souffrent de douleurs liées à l’articulation temporo‑mandibulaire (ATM), La plupart présentent des symptômes tels des migraines ou des céphalées, des névralgies cervico‑faciales (trijumeau, ophtalmiques, laryngées), torticolis récurrents. Certains souffrent également de bruxisme. Un problème d’occlusion peut en être à l’origine,   ainsi qu’un SADAM (Syndrome de Costen).

Ces dernières années, j’ai suivi beaucoup de patient ayant eu une chirurgie orthognathique. Le suivi des patients au quotidien m’a donné une expérience particulière des adaptations corporelles suite à une telle opération. En effet, bien qu’indiquée pour un traitement local, maxillo‑facial, elle a un retentissement général sur le corps. L’ostéopathie dans la sphère crânio‑maxillo‑faciale possède en effet des outils qui permettent de vérifier et d’ajuster l’équilibre général du corps, notamment au niveau de la posture.

Actuellement, il existe en France une prise en charge pluri‑disciplinaire de ces patients, où interviennent orthodontistes, chirurgiens maxillo‑faciaux, dentistes généraux, mais aussi kinésithérapeutes formés à la rééducation linguale et maxillo‑faciale, des orthophonistes, parfois des psychologues. Quand elle est bien menée, elle donne de très bons résultats. Mais qu’en est‑il des suites à long terme pour les patients, et dont le corps compense dans les mois et années qui suivent? L’ostéopathie crânio‑maxillo‑faciale, par un travail en profondeur, libère les tensions du corps entier (et pas uniquement de la région maxillo‑faciale), par des manipulations douces, sans craquement. L’ostéopathie a une place de choix dans la gestion de la posture et de l’équilibre du patient, et vient compléter les soins existants. Nous allons voir cela plus en détail dans cet article.

La chirurgie orthognathique est une catégorie d’intervention en chirurgie maxillo‑faciale. Elle désigne le fait de repositionner les os maxillaires et mandibulaire formant la mâchoire, pour retrouver des rapports interdentaires congruents (que les dents s’emboitent convenablement) et ainsi une occlusion et une fonction correcte. Elle permet de traiter des malocclusions importantes et les anomalies de la forme qui ont un retentissement sur la fonction masticatoire, respiratoire, et phonatoire ainsi qu’au niveau esthétique. On la propose aussi dans le traitement de certains syndromes d’apnée du sommeil.

Voici un bref rappel des différents types d’intervention :

L’ostéotomie mandibulaire consiste en la section de l’os mandibulaire, soit pour l’avancer (traitement de la rétrognathie) soit pour la reculer (traitement de la prognathie). Elle peut être complétée d’une génioplastie, c’est à dire d’un réajustement de la position de la symphyse mentonnière. 

L’ostéotomie mandibulaire (source http://centremassiliendelaface.com)

L’ostéotomie de Lefort I s’adresse au maxillaire supérieur, et permet de réajuster la position de l’arcade dentaire supérieur dans les trois plans de l’espace, selon le plan d’occlusion. La ostéotomie bimaxillaire, comme son nom l’indique, s’adresse simultanément aux maxillaires et la mandibule. 

Ostéotomie de Lefort 1 (source  http://www.maxillofacia.be)

Il est proposé quasi‑systématiquement un traitement d’orthodontie, dont le but est de préparer la future position des dents. Cette période peut être inconfortable, car l’occlusion va être volontairement moins bonne, car ajustée en vue de la position souhaitée après l’opération. Un certain nombre de contraintes mécaniques sont appliquées sur la mâchoire à ce moment du traitement.

La plupart des traitements orthodontiques et chirurgicaux se passent bien, et donnent des résultats satisfaisants. Mais parfois, il peut persister des gênes et des douleurs, localement, ou à distance. Celles‑ci témoignent d’une difficulté du corps à s’adapter à ces nouveaux changements, et l’ostéopathie crânio‑maxillo‑faciale peut beaucoup aider le patient durant cette période. Dans tous les cas, il est important de consulter l’ostéopathe pour éviter les conséquences à long terme.

Place de l’ostéopathe crânio‑maxillo‑facial dans le parcours de soin


La vision de l’ostéopathe

Le maitre‑mot en ostéopathie est la globalité. Ce qui nous intéresse le plus, c’est l’étude des relations des différents systèmes et organes dans le corps. Un organe ou système n’a de raison d’être que par rapport à son environnement et à l’ensemble du corps, il ne peut fonctionner de manière isolé.

La médecine actuelle, toujours plus spécifique et précise, technique, considère le corps par partie: c’est une médecine de spécialité. Cela permet à chaque médecin d’être le plus compétent possible sur un domaine très précis. L’ostéopathie fonctionne différemment: elle considère le corps dans sa globalité et ne s’adresse à une partie ou un organe spécifique uniquement dans son rapport à l’ensemble, comme une unité. Elle vient compléter les soins médicaux et chirurgicaux en aidant le corps à s’équilibrer, à s’auto‑réguler. Par exemple, avant et après une intervention chirurgicale, en parallèle d’un traitement médicamenteux, l’ostéopathie peut aider à diminuer les effets secondaires, ainsi qu’à tout autre moment, selon les besoins spécifiques de chaque patient.

L’ostéopathe peut avoir une spécificité à la prise en charge des problèmes de mâchoire, et a une connaissance particulière des pathologies maxillo‑faciales, et mécanismes ostéopathiques crâniens et posturaux, mais n’oublions pas que l’ostéopathie s’adresse toujours à l’ensemble du patient (liens vers anciens articles).

  

Le « schéma » de chaque patient.

Du point de vue ostéopathique, chaque patient a son propre «schéma » de tension, à la base, qui correspond à l’ensemble des tensions et adaptations qu’il a accumulé au fil de sa vie, depuis la vie intra utérine. En tenant compte du bagage génétique héréditaire qui oriente notre morphologie (forme) dans une direction ou dans une autre, nous sommes conçus selon un schéma postural et fonctionnel parfait. La vie présente une multitude d’adaptations à l’environnement qui vont nous conduire à nous  compenser avec des tensions. L’ensemble des traumatismes et événements de vie s’inscrivent dans ce schéma. Lors d’une séance d’ostéopathie, lorsqu’avec nos mains nous « lisons » l’histoire du corps du patient, et il est possible de sentir les effets de certains traumatismes remontant à l’enfance: certains événements « non‑résolus » ont pu laisser une empreinte dans le corps.

Conséquence ostéopathique de la chirurgie orthognathique


Une intervention en chirurgie orthognathique modifie le schéma d’adaptation ostéopathique pré‑existant du patient.

Au niveau mécanique, le traitement orthodontique va avoir tendance à créer un resserrement des espaces entre les os pré et post‑maxillaires, palatins, et processus ptérygoïdes du sphénoïde. La contrainte mécanique est appliquée en continu, et peut parfois favoriser l’apparition de troubles comme des céphalées et congestion des voies aériennes supérieures, des sinusites. L’ostéopathe doit libérer ces espaces en contraintes pour soulager le ganglion sphéno‑palatin (centre nerveux important pour la région des yeux et des fosses nasales) et le plexus veineux ptérygoïdien qui s’y trouve, pour favoriser une meilleure circulation et un meilleur drainage.

Les contraintes exercées sur la région maxillo‑faciale ont un retentissement immédiat sur la base du crâne et la charnière crânio‑cervicale, avec les deux premières vertèbres atlas et axis. Il faut systématiquement vérifier que cette zone est libre lors des séances d’ostéopathie.

Le ganglion sphéno‑palatin (source: Atlas d’anatomie Netter)

La pression qui est exercée sur l’articulation temporo‑mandibulaire peut être en cause dans la luxation méniscale, et dans certaines pressions sur l’appareil auditif et vestibulaire. On retrouve ce même phénomène chez les patients atteints de bruxisme. En effet, la lame osseuse séparant la cavité de l’articulation temporo‑mandibulaire de l’oreille interne est très fine, et sensible à des pressions mécaniques. Il n’est pas rare de voir apparaître dans le SADAM des acouphènes,   sensation de bourdonnement, parfois des vertiges ou des pertes auditives. Le traitement ostéopathique permet de libérer la pression s’exerçant sur ses structures, et donc peut éviter ou faire disparaître ces désagréments.

L’articulation temporo‑mandibulaire (source: Netter)

Implication sur la chaîne mandibulo‑hyo‑linguale

Dans les chirurgies d’avancée ou de recul mandibulaire, la tension des muscles hyoïdiens et linguaux est modifiée. Rappelons que la langue est un complexe de 17 muscles, intervenant dans la déglutition, la phonation; elle a aussi un rôle dans la posture. C’est un des muscles les plus puissants du corps, attaché à la mandibule, la base du crâne, à l’os hyoïde, au pharynx. Une contracture profonde de ce complexe musculaire a un retentissement à long terme sur la posture générale: les épaules, la colonne vertébrale, le bassin.

Le muscle digastrique est intéressant car il relie la mandibule à l’os temporal en faisant un pont sur l’os hyoïde. Quand la mandibule est tirée en avant, c’est toute une chaîne musculaire et fasciale qui se tend, et peut perturber le fonctionnement de la région temporo‑occipitale ainsi que cervicale.

Muscle digastrique et région infra‑mandibulaire (source: dreamstime.com et Atlas d’anatomie Netter)

Pour élargir notre considération, quand la loge musculaire du cou est perturbée par des tensions dont nous venons de parler, une perturbation du diaphragme se laisse presque toujours observer. En effet, la chaîne musculaire de la langue et de l’os hyoïde se prolonge dans le thorax vers le coeur et le diaphragme, ainsi que par la continuité entre le pharynx, l’oesophage. Les aponévroses cervicales qui entourent les organes, les muscles, les vaisseaux et les nerfs, se continuent vers le bas, et peuvent créer des perturbation sur le muscle diaphragme, ce qui aura des répercussions sur les fonctions cardio‑respiratoires et digestives. 

Les aponévroses du cou (source: Netter)

J’ai pu observer chez plusieurs patients des blocages importants au niveau de la symphyse mentonnière dans les cas où il y avait eu une génioplastie. Les patients peuvent garder une gêne au niveau de la lèvre inférieure, car les fascias sont fixés et adhèrent à la zone opérée. Libérer ces tensions peut apporter un grand confort à la zone crânio‑maxillo‑faciale.

Implication sur les maxillaires

Le cisaillement antéro‑postérieur réalisé par l’intervention chirurgicale modifie les tensions du voile du palais et son environnement. Là encore, un équilibrage de la région occipitale- cervicale haute est systématique. Aussi est‑il nécessaire de réaligner les structures sur l’axe médian de la face, entre l’os vomer, l’ethmoïde, et la faux du cerveau. 

La région moyenne de la face et la relation avec la dure‑mère (source: Netter, H.Fournier www.neuranat.fr)

 La dure‑mère et ses replis joue un rôle important dans l’accommodation posturale. Elle joue le rôle de stabilisateur du mécanisme crânio‑sacré dans les trois plans de l’espace.

Modification de la proprioception

L’occlusion et la région manducatrice constitue l’importante « entrée occlusale » en posturologie. Les informations sensitives et proprioceptives de cette région anatomique, véhiculées par le nerf trijumeau, permettent au corps de stabiliser sa posture dans l’espace, au repos et dans le mouvement. Les pressions de la dent sur l’os basal, amorties par le ligament dentaire, renseignent notre cerveau sur cela.

Lorsque les rapports de position entre maxillaire‑mandibule changent, que l’occlusion est corrigée, le système nerveux va enregistrer des informations nouvelles. Le toucher ostéopathique a un effet thérapeutique sur la proprioception (ou intéroception), c’est à dire qu’il va aider le patient à se réapproprier des sensations de position et de tension nouvelles.

Il faut penser que le système nerveux a enregistré des informations concernant la position et la tension des structures depuis l’enfance; ces informations sont comme une référence de la normalité du sujet, comme si l’ordinateur les avait en mémoire dans la zone du cerveau correspondant à la proprioception. Après une intervention, il y a discordance entre ces informations en mémoire et la réalité anatomique du sujet, ce qui peut laisser des gênes et problèmes fonctionnels. L’action proprioceptive du travail de l’ostéopathe va permettre d’effacer ces anciennes informations obsolètes, pour en enregistrer de nouvelles, celles‑ci en cohérence avec la réalité corporelle du moment.

L’action de l’ostéopathe crânio‑maxillo‑facial se destine aussi à toute situation qui ne guérit pas totalement. Par exemple, lorsqu’il persiste une anesthésie ou des paresthésies après une opération, c’est qu’il existe comme un « frein » qui empêche le corps de récupérer à 100%. Il est parfois nécessaire d’aider le corps à ajuster certaines tensions, libérer certains tissus et améliorer les circulations du corps, pour permettre une meilleure auto‑régulation.

Certaines névrites peuvent aussi bien répondre au traitement lorsque toutes les causes dentaires ont été soignées.

Nous pourrions continuer cet exposé à l’infini, tant l’adaptation du corps est un phénomène complexe. L’important est de vous transmettre le principe de base, que toute modification locale a nécessairement des répercussions dans l’équilibre du corps entier. Il est nécessaire selon moi de considérer cela à chaque instant en traitant le patient, pour le soulager des douleurs qu’il présente aujourd’hui, mais aussi et surtout pour prévenir de l’effet à long terme des compensations, et ainsi éviter l’apparition de problèmes futurs. C’est dans sa démarche préventive que l’ostéopathie tire toutes ses lettres de noblesses.

 

Nota Bene

Ne pas confondre la Kinésithérapie maxillo‑faciale et l’ostéopathie crânio‑maxillo‑faciale.

Souvent il est une confusion entre ces deux disciplines. Reprenons leur définition.

La kinésithérapie maxillo‑faciale est une rééducation par le mouvement, et pour le mouvement.

Elle consiste, selon les écoles de formation, en des techniques de massages des muscles de la face, des muscles masticateurs et du cou, de manipulations intra‑buccales (pour les muscles ptérygoïdiens), de techniques de drainage lymphatiques, et d’exercices de rééducation de la mâchoire, de la langue avec parfois quelques notions de posture. Ce travail vise à mobiliser la zone, détendre les muscles et permettre au patient de se réapproprier sa propre mobilité, et retrouver de bonnes fonctions oro‑maxillo‑faciales: parole, déglutition, respiration. Elle est prescrite par les médecins, stomatologues, et chirurgiens maxillo‑faciaux, avant ou après une opération, dans le cadre de désordres temporo‑mandibulaires, ou quand les fonctions oro‑faciales sont perturbées.

L’ostéopathie dans la sphère maxillo‑faciale s’intéresse aux relations entre l’occlusion, l’articulation temporo‑mandibulaire et l’équilibre du corps entier, car tout est lié. Ce ne sont ni des massages, ni des exercices à faire par le patient, mais bien un traitement manuel qui vise à libérer les tensions profondes du corps accumulées au fil du temps, de manière à favoriser l’auto‑régulation du corps. Elle ne répond à aucune prescription médicale puisque l’ostéopathe est consultant de première intention: il est formé au diagnostic différentiel, ce qui permet au patient, bien que l’ostéopathe ne soit pas médecin, de venir le consulter directement en toute sécurité.

Par le toucher ostéopathique, le praticien adapte ses mouvements en fonctions des tensions qu’il ressent sous les doigts. Chaque traitement est donc différent, et va travailler sur des parties du corps différentes selon les cas. C’est ce qui fait la richesse de cette pratique et son intérêt dans le cadre d’une prise en charge pluri‑disciplinaire.

 La kinésithérapie et l’ostéopathie maxillo‑faciale sont donc éminemment complémentaires, et le travail combiné entre les deux praticiens donne d’excellents résultats.